Appel à contribution jeunes chercheurs : La grammatica et les différentes facettes de la transmission du savoir

Appel à contribution jeunes chercheurs : La grammatica et les différentes facettes de la transmission du savoir

L’édition annuelle de la journée d’études des jeunes chercheurs et chercheuses (JEJC), organisée par l’association Chroniques chartistes en collaboration avec l’ENC, le centre Jean-Mabillon, les laboratoires IRHT et HTL du CNRS, et le Comité International de Paléographie Latine, aura lieu les 27 et 28 juin 2023 à l’École nationale des chartes. Cette journée est l’occasion pour les étudiant·e·s de master, doctorant·e·s et post-doctorant·e·s de se réunir autour d’une thématique commune. En hommage à Louis Holtz, les JEJC 2023 seront consacrées à l’exploration des liens entre grammaire, transmission des textes et des savoirs et humanités numériques.

chroniqueschartistes.jejc23@gmail.com

Louis Holtz, grande figure des études latines, spécialiste des grammairiens de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge, fut professeur des universités de Rennes, Nantes, Angers et Lyon, et directeur de l’Institut de recherche et d’histoire des textes (IRHT) de 1986 à 1997. Sa méthode et ses objectifs dans le domaine de la grammaire consistaient à rendre sensible le lien essentiel entre le texte antique, les circonstances de sa tradition et sa réception médiévale. Selon lui, ce programme peut – et doit – s’appliquer non seulement aux textes techniques, mais aussi à tout autre texte, quel qu’en soit le genre littéraire. Inspirés par la contribution scientifique de Louis Holtz et afin de garder ouvert le dialogue entre une ancienne et une nouvelle génération de chercheurs, nous souhaitons ouvrir la discussion sur les apports scientifiques qui peuvent naître de la rencontre entre grammairiens, matérialité des sources et humanités numériques. Nous souhaitons par la même occasion questionner les enjeux que cette rencontre ne manque pas de soulever.

Illa circa grammaticam… : vers une définition

Pour cette journée d’études, nous avons entrepris d’examiner la grammatica non seulement en l’envisageant comme un genre littéraire véhiculant un contenu intellectuel spécifique, mais aussi en reconsidérant la fonction de la grammaire en tant qu’ars, ou instrument de pratique intellectuelle. Nous souhaitons également examiner les effets qu’elle exerce sur la transmission des savoirs. Nous entendons la grammatica dans le sens de la “grammatical culture”, terme introduit par M. Irvine (1994), qui considère le type de culture lettrée et littéraire soutenue et reproduite par la grammatica non seulement comme une discipline dotée d’un corps de connaissances circonscrit, mais aussi comme un modèle de culture textuelle qui s’étend au-delà du contenu objectif apparent d’une discipline. Concernée par l’étude des objets linguistiques dans deux divisions connexes composantes de la langue et de la littérature (d’une part la scientia recte loquendi scribendique, d’autre part l’enarratio ou scientia interpretandi), la grammatica offre des outils d’analyse et d’interprétation. Chacune des divisions méthodologiques de la grammatica (à savoir lectio, enarratio, emendatio, iudicium) faisant partie de l’arsenal méthodologique du grammaticus, compris ici au sens large de savant. En tant que discipline revendiquant à la fois l’objet linguistique et textuel comme sa sphère spéciale de connaissance, la grammatica n’est pas simplement transitive et descriptive, isolant et étiquetant les parties de son objet. Elle est aussi constitutive de connaissances. Elle fournit un réseau de présuppositions, de stratégies discursives et de règles d’argumentation qui régissent l’enquête et fournissent les bases de la possibilité et de la création même de la connaissance.

La journée d’études s’articulera autour de trois volets qui constituent le cœur de notre programme.


1. Histoire des textes.
Les grammatici, gardiens de la latinité

Les traités de grammaire ou artes grammaticae, souvent décriées pour leur style normatif et aride ainsi que leur « manque d’inspiration », occupent une place centrale dans le trivium et constituent, tout au long de l’Antiquité et du Moyen Âge, une pratique continue et fondamentale du cursus éducatif.

L’œuvre des grammatici, au premier rang desquels les grammatici Graeci comme Apollonios Dyscole, Hérodien et Denys le Thrace, et les grammatici Latini comme Charisius, Priscien, Servius, Donat, suivis de l’ensemble des auteurs connus et anonymes qui figurent dans l’édition monumentale de Keil, a contribué à l’évolution de la doctrine grammaticale et à la survie de la littérature antique (Keil H., 1857). Les grammairiens latins, qualifiés par Sénèque de custodes Latini sermonis, jouent un rôle important à la fois dans la préservation et l’évolution de la langue au fil des siècles, ainsi que dans la survie des textes antiques, pour lesquels les textes grammaticaux sont parfois notre seule source (par exemple les fragmenta des poètes archaïques). Cette survie doit également beaucoup au Moyen Âge – et tout spécialement à l’interprétation des textes par leurs commentateurs du haut Moyen Âge et de l’époque carolingienne. Des personnalités comme Sedulius Scottus, Jean Scot Érigène, Bède, Alcuin, Guillaume de Conches ont contribué à la tradition et au renouveau du savoir par le croisement des sources anciennes. Cette confrontation constitue un véritable continuum, qui va jusqu’à l’humanisme et au-delà, dont le dénominateur intellectuel commun, garant de l’accès à la connaissance, est la grammaire.

Des travaux importants dans le domaine de la grammaire antique ont été menés au cours des dernières décennies, avec un renouvellement important de ce champ d’études. Ainsi, le premier axe est consacré aux nouvelles recherches sur les grammatici et leurs grammaires ou sur leur contribution à la transmission des textes, de l’Antiquité à la modernité.


2. Paléographie.
La grammaire en tant qu’instrument textuel

La théorie littéraire tout au long de la période médiévale présuppose la forme manuscrite du texte, une forme avec ses propres caractéristiques distinctives telles que la variation textuelle d’une copie à l’autre, l’encodage de l’écriture et de la mise en page dans un système total de significations verbales et visuelles. Dans l’introduction de la traduction française du livre d’Ann Blair, Too much to know, Roger Chartier rappelle que « en s’attachant aux objets, les livres, bien sûr, mais aussi les notes manuscrites, […] en portant l’attention sur les pratiques les plus humbles (copier, découper, coller, classer, relier), elle rappelle, à distance, une histoire des idées réduite aux concepts, que les intellectuels pensent aussi avec leurs mains » (Blair A., 2020, p. 10.). Les sources textuelles représentent à la fois une unité matérielle et intellectuelle, particularité inhérente qui a joué un rôle essentiel pour la transmission des textes au fil des siècles.

Plus particulièrement, la grammatica était responsable de certaines des caractéristiques importantes du format des manuscrits. Par exemple, la lectio grammaticale, ensemble de règles pour lire un texte à haute voix et établir le premier niveau d’intelligibilité, était intrinsèquement associée au format physique et visuel de la page du manuscrit : la division des mots, la ponctuation des clauses et des unités de sens, les gloses interlinéaires et les marques d’accent pour aider à construire le sens du texte. De même, l’enarratio grammaticale est méthodologiquement liée au développement du format « texte et glose » des manuscrits littéraires et grammaticaux dans lesquels les pages d’un livre étaient conçues pour inclure une glose ou un commentaire transcrits dans les marges en même temps que le texte principal. Les textes produits dans la culture grammaticale, indépendamment de leur contenu, étaient rarement fixes et clos dans l’état figé et codifié attendu des éditions imprimées modernes, et il est clair que pour le lecteur médiéval, tout ce qui se trouvait sur une page – mise en page, changements d’écriture, gloses, marques de contraction, notes, corrections – était perçu comme une caractéristique intégrale du système de signification qui constituait le livre (Irvine M., 1994, p. 17). L’écriture et la mise en page créent un langage secondaire, cette fois visuel, conférant à un texte une signification sociale.

Ainsi, la grammaire constitue le carrefour entre paléographie, codicologie et édition de textes. Les contributions sur les manuscrits glosés et annotés, les marginalia, avec un accent sur leur fonction de transmission de savoirs, sont les bienvenues.


3. Humanités numériques.

Ce troisième axe vise à permettre une réflexion sur les pratiques modernes de transmission et de survie des sources. La gestion, l’analyse et le stockage des informations ne constituent pas une approche méthodologiquement nouvelle, mais une approche récurrente, étroitement liée aux avancées technologiques. À l’ère du numérique, le changement (ou l’évolution ?) du modèle impose le passage du matériel au virtuel, du manuscrit au numérique, quelles que soient ses implications.

Ces dix dernières années, d’importantes questions méthodologiques ont été posées tant par les paléographes que par les spécialistes des humanités numériques pour faire avancer le champ et pour réconcilier les méthodes traditionnelles avec des approches novatrices (Pierazzo E. & Stokes P. A., 2011). De ces discussions, des questionnements importants émergent : comment traduire les outils traditionnels de gestion et de transmission du savoir dans l’environnement numérique, où l’édition, la structuration et l’analyse des sources anciennes constituent une sorte de métadonnée, de « méta-transmission » des sources ? Le concept d’édition numérique a été au centre des débats académiques et des outils de plus en plus complexes ont été développés et optimisés. Quelles sont les stratégies mises en place, les choix, les avantages et/ou les inconvénients de ces approches ? Quelles sont la grammaire et la syntaxe du paradigme numérique ? Construire des outils pour les éditions critiques est un défi, surtout lorsqu’il s’agit de plusieurs niveaux d’information et de paratexte, de mise en page complexe, etc. Comment y faire face (Kuhry E., 2020) ?


Cette journée d’étude sera l’occasion pour les jeunes chercheurs de différents horizons disciplinaires de se rencontrer et de discuter de l’importance de la grammaire dans la transmission des textes et des savoirs, ainsi que de son rôle dans les humanités numériques. Nous espérons favoriser avec un tel événement de nouveaux échanges et collaborations entre chercheurs issus d’horizons divers, et stimuler de nouvelles réflexions sur les enjeux actuels de l’étude de la grammaire et de la transmission des textes.

Cet appel à communication s’adresse à tou·te·s les jeunes chercheurs et chercheuses, masterant·e·s, doctorant·e·s ou post-doctorant·e·s, issu·e·s de toutes les disciplines des sciences humaines et sociales, de la littérature ou des langues, sans restriction temporelle ou géographique.
Nous vous invitons à soumettre vos propositions de communication en précisant les thématiques dans lesquelles elles s’inscrivent. Pour chaque proposition, un titre, un résumé de 300 à 500 mots (français ou anglais), un bref CV ainsi qu’une bibliographie restreinte et un éventuel exposé de vos travaux sont attendus.
Le comité d’organisation répondra aux propositions envoyées avant le 15 mai 2023, à l’adresse suivante :

chroniqueschartistes.jejc23@gmail.com.

Une aide financière peut être proposée aux participants afin de couvrir les frais de voyage et d’hébergement, dans la mesure des fonds disponibles.
La publication d’un volume des actes est prévue.


Partenaires institutionnels : École Nationale des Chartes – PSL  ; Centre Jean-Mabillon ; Institut de Recherche et d’Histoire des Textes – CNRS ; Laboratoire Histoire des Théories Linguistiques – CNRS ; Comité International de Paléographie Latine.

Comité d’organisation : Malamatenia Vlachou-Efstathiou (ENC, CNRS/IRHT) ; Hugo Forster (ENC) ; Svetlana Yatsyk (CIHAM).

Comité scientifique : Franck Cinato (CNRS/HTL) ; Jeremy Delmulle (CNRS/IRHT) ; Alessandro Garcea (Sorbonne Université) ; Anne Grondeux (CNRS/HTL), ; François Ploton-Nicollet (ENC) ; Marc Smith (ENC) ; Peter A. Stokes (EPHE) ; Dominique Stutzmann (CNRS/IRHT) ; Mariken Teeuwen (Huygens Instituut).

Source : Chroniques chartistes