Appel à contribution – Blasphème

Appel à contribution – Blasphème

Appel à contribution – Blasphème

« Blasphème »
Séminaire de Questes
16 décembre 2022, 27 janvier et 17 février 2023

Dans le Roman de Renart, le goupil transforme une série de pets en un rosaire scatologique : « “Cis premiers, dist il, soit mon père ! /Et li autres soit por me mere /Et li tiers por mes bienfaiteurs /Et por trestous mes anciseeurs, /Et li quars soit por les gelines1” » – et la liste de s’allonger ainsi sur une dizaine de vers, avant que le personnage ne finisse tout simplement, à la fin de l’épisode, par dévorer son confesseur… Cette scène, particulièrement subversive vis-à-vis de la foi et de la religion, confère-t-elle au texte un caractère blasphématoire ? Si en 1997 Évelyne Birge-Vitz s’interrogeait sur ce point2, force est de constater que, du Roman de Renart à Dante en passant par Chaucer3, la question des énoncés ou des représentations irrévérencieuses à l’égard de l’Église et de ses officiants, de la divinité ou des pratiques religieuses continue de mériter d’être posée.

Pour autant, le blasphème ne relève pas seulement des études littéraires. De la classification et codification des « éléments de jurologie4 » à l’analyse pragmatique de l’« effet injure5 » ; de l’exploration méthodologique et théorique des degrés de gravité dans les imputations de blasphèmes dans la vie publique6 à l’analyse du dispositif de jugement spécifique de telles affaires7 ; de la réalisation d’audacieux travaux de synthèse à la production d’études plus circonstanciées dans l’espace et dans le temps8, le blasphème, enfin sorti des dictionnaires de théologie9, se révèle aussi, et peut-être surtout, un objet d’étude particulièrement prisé par les linguistes10, les anthropologues et les historiens du droit11 et des religions12.

La diversité des travaux et la pluralité de leurs perspectives prouvent que le blasphème constitue un objet à « forte vertu mobilisatrice » et à « contenu notionnel équivoque13 ». Malgré un certain consensus établi autour de la notion de transgression de normes gravitant autour du sacré et d’une interrogation autour du licite et de l’interdit, les définitions du blasphème varie en fonction des lieux et des périodes : prononcer le nom de Dieu ou l’invoquer en vain ; affirmer quelque chose de faux sur la divinité, l’insulter ou l’outrager, ainsi que ses représentants ; proférer dans un mouvement de colère un juron etc. La délimitation sémantique du mot blasphème n’est d’ailleurs elle-même pas stable vis-à-vis d’autres vocables que l’on juge souvent comme voisins (hérésie, apostasie, mécréance, idolâtrie, sacrilège etc.). Aux XIIe et XIIIe siècles, une période où les classifications structurées des « péchés de la langue14 » se multiplient, deux grandes conceptions du blasphème circulaient. L’une, ancrée dans la tradition augustinienne, met l’accent sur la dimension mensongère du discours et son caractère de fausseté ; l’autre, qui remonte à Haymon d’Auxerre, insiste sur la modélisation linguistique de l’insulte adressée à Dieu. Pierre de Lombard et Raoul Ardent s’inscrivent dans la première perspective lorsque Guillaume Peyraut privilégie la seconde15. Le blasphème a donc évolué dans ses significations comme dans ses pratiques, sa valeur ou encore sa portée au cours des siècles et selon les domaines depuis lesquels il est envisagé.

Tenir compte de l’« éclatement de la notion16 » s’avère primordial. En effet, selon l’angle abordé dans les études, la notion de blasphème prendra donc une forme différente, pouvant elle-même s’avérer blasphématoire ou non selon la norme imposée. Aussi, dans le but de rendre compte d’une définition aussi développée que possible, est-il judicieux d’analyser le blasphème comme un objet d’étude interdisciplinaire, intéressant l’histoire, le droit, la littérature, la linguistique, l’histoire de l’art etc.

Ce séminaire, qui propose globalement d’interroger les marges et la notion de frontière(s) (entre le licite et l’illicite, entre certains comportements et ce qui autorisé, préconisé ou banni par les croyances « officielles » etc.), s’intéressera aux réactions des acteurs dans leurs productions multiples (langagières, littéraires, épigraphiques, iconographiques etc.) face à l’imposition d’une norme institutionnelle (religieuse, juridique, politique etc.) – confrontation, transgression, contournement, acceptation, rejet… – et à leur réception par l’institution en question.

Les communications devront prendre en compte la diversité des pratiques comme celle des domaines qui peuvent entrer en jeux (ceux-ci ne sont pas simplement religieux, mais aussi juridiques, politiques, artistiques et littéraires) ; la multiplicité des périodes historiques (le blasphème ne connaît ni la même définition ni la même portée entre le Haut Moyen Âge, le Moyen Âge central et le Bas Moyen Âge ou l’époque moderne) ; la pluralité des traditions (savantes et « populaire » notamment, théologique et juridique etc.). Elles pourront respecter l’historicité de l’objet (en adoptant les catégories et les définitions médiévales) ou choisir de conserver une définition large et extensible du blasphème: interroger les textes ou l’iconographie médiévale à l’aune de la définition moderne de blasphème comme parole ou discours qui outrage la divinité, la religion ou tout ce qui est considéré comme sacré ; interroger les mouvements religieux que le centre conçoit comme hérétiques (cathares, albigeois, réformistes etc.) et qui considèrent eux-mêmes la norme dictée par l’institution comme « blasphématoire » ; interroger l’attitude des mystiques, des visionnaires ou des humanistes de la fin de l’époque médiévale… Outre l’étude de la dimension verbale du blasphème, on pourra donc englober celle d’un ensemble hétérogène de comportements jugés répréhensibles ou encore de croyances considérées comme déviantes.

Axes de réflexion possibles

– L’indétermination sémantique et la variété lexicale en fonction des langues : enjeu(x) et conséquence(s) d’une désignation.
– La diversité des pratiques : énoncés et discours; représentations littéraires et iconographiques ; comportements connexes (sacrilège, hérésie, idolâtrie etc. : une étude depuis un prisme intérieur comme extérieur des normes centrales est possible).

– L’intentionnalité (de l’œuvre, des auteurs, des lecteurs) : les effets visés/produits (en quoi le blasphème peut-il par exemple être un ressort puissamment comique, parodique, satirique ?)
– L’évolution des pratiques : possibilité d’une étude transnationale (toutefois limitée à l’Occident médiéval) ou transhistorique (du Haut Moyen Âge au XVIe siècle).

– Le processus de conversion, où le blasphème, appréhendé différemment dans ce contexte, est accepté dans le comportement des néophytes ou des païens.
– Le soutien et l’opposition aux mystiques et/ou aux personnes critiquant les attitudes de la papauté des XIVe au XVIe siècles. En fonction d’où l’on se place, chacun est susceptible de recevoir le titre de « blasphémateur ».

– Les témoignages de sainteté perçus comme des blasphèmes par les autorités.

Conditions de soumission

Cet appel à communication s’adresse aux étudiant.e.s de master, de doctorat et aux jeunes chercheur.se.s en études médiévales, quelle que soit leur discipline. Les propositions de communication, limitées à 300 mots et à une courte bibliographie, seront accompagnées d’une mention du sujet de mémoire et/ou de thèse du.de la candidat.e. Elles devront être envoyées aux organisatrices à l’adresse suivante : questes.blaspheme2022@gmail.com avant le 4 novembre 2022, en vue d’une présentation de vingt minutes durant l’une des trois séances du séminaire, qui se tiendront les 16 décembre 2022, 27 janvier et 17 février 2023 à la Maison de la Recherche (28 rue Serpente, 75006 Paris), et d’une publication dans la revue de l’association (questes.revues.org). Les candidat.e.s devront solliciter leur laboratoire ou leur école doctorale pour la prise en charge des frais de déplacement. En cas de difficulté pour le transport ou l’hébergement, les personnes concernées peuvent néanmoins solliciter les organisatrices.