Appel à contributions : Oralité(s) Hier – Aujourd’hui – Demain, Carcassonne, mai 2025

Appel à contributions : Oralité(s) Hier – Aujourd’hui – Demain, Carcassonne, mai 2025

Oralité(s)
Hier – Aujourd’hui – Demain

Colloque du Cinquantenaire (1976-2026) des Cahiers de littérature orale
Carcassonne, Maison des Mémoires, 27 & 28 mai 2025
Organisé par les Cahiers de littérature orale en partenariat avec l’Ethnopôle Garae

L’Éditorial du n° 20 des CLO [1986, 7-8] revenait sur dix ans de publications dans les Cahiers de littérature orale, revue que fonda et dirigea Geneviève Calame-Griaule de 1976 à 2011 [Belmont & Leguy, 2018]. Il y était question du « parti pris anthropologique de la revue », de « chercheurs en oralité » et de « littérature orale ». L’anthropologie comme paradigme disciplinaire principal, la littérature orale comme corpus matriciel et l’oralité comme problématique langagière première sont toujours au cœur de nos recherches. Le même éditorial soulignait aussi combien, à l’époque encore, « le domaine théorique des réflexions sur le champ spécifique de l’oralité n’avait pas été suffisamment exploité » et combien cette question même faisait l’objet de « multiples controverses. » Qui pourrait songer aujourd’hui – alors que nous nous apprêtons à fêter le n° 100 de la Revue – que nos ressources théoriques, nos propres terrains ou méthodologies et la définition même de l’oralité ne cessent de faire l’objet de questionnements voire de remaniements en profondeur ? C’est précisément l’amplitude et la pertinence des changements présents et des bouleversements à venir – pleins d’avenir ? – qui font l’objet du Colloque du Cinquantenaire.
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En toute première analyse, on pourrait sans doute avancer que les référents disciplinaires, les lieux et objets d’études, tout comme le concept central d’oralité se sont pluralisés et complexifiés. Ce pluriel est celui de plus en plus affirmé des disciplines anthropologiques ou apparentées – anthropologie linguistique, anthropologie du symbolique, anthropologie des voix, anthropologie comparée de la parole, ethnolinguistique et (ethno)poétique, mais aussi anthropologie du sonore, ethnomusicologie, sound studies, etc. Ce pluriel complexe et diversifié est encore celui des terrains d’enquête – urbains comme ruraux, endotiques comme exotiques, traditionnels comme radicalement nouveaux – et des corpus, du conte de Ma Mère l’Oye à la néo-oralité chère à G. Calame- Griaule et aux slogans féministes. Pour en rester au seul concept d’oralité, et à titre d’exemple, les mutations, enrichissements ou déplacements de problématiques sont nombreux et significatifs :

• Les oralités primaires et secondaires identifiées depuis longtemps par les historiens de la culture et les anthropologues de la communication sont de plus en plus concurrencées ou disons redoublées par les oralités tertiaires (médiatiques et numériques), y compris en littérature (régime multimodal et multisensoriel des codes).

• Les oralités font l’objet d’analyses en miroir de mieux en mieux documentées et assumées quand elles se conçoivent comme des praxis orales inscrites dans des univers largement structurés par / pour la culture écrite [Goody, 1979; Duranti, 2009: 23-47; Bornand et Leguy, 2013; Ong, 2014; Belmont, 2017]

• Les oralités centrées sur la performance oratoire (heures du conte, rites oraux, oralités professionnelles, oralités de rue, oralités artistiques, oralités savantes, etc.) tendent à être complétées par une attention ethnographique aux oralités perçues. Ces oralités/auralités [Privat, 2019] s’ouvrent dès lors nécessairement à l’étude des situations et conditions d’écoute entre humains mais aussi « au-delà de l’humain » [Ingold 2021, Kedzierska-Manzon 2018, Feld 2023, etc.]. Les paradigmes anthropologiques post- humanistes [Descola, 2005 ; Ingold, 2011, 2021 ; Kohn, 2017 ; Viveiros de Castro, 2021] constituent possiblement de nouvelles matrices théoriques et ouvrent à des horizons interprétatifs inédits. Ces oralités semblent rimer de plus en plus sinon avec post-modernité, du moins avec notre présent.

• Les oralités en littérature enfin semblent de plus en plus présentes, de J.M.G Le Clézio à M. de Kerangal, de Doris Lessing à Ahmadou Kourouma et Mo Yan, peut-être comme un contre-champ à l’empire de l’écrit au cœur même d’une civilisation scriptocentrée. Un contre-chant culturel en somme ? L’éco-poétique, l’ethno-poétique et l’ethnocritique (autant de paradigmes interprétatifs émergents ou en voie de reconnaissance internationale) s’intéressent de plus en plus à la pragmatique, à la sémiotique et à la stylistique de ces univers sonores textualisés, y compris dans les imaginaires de la langue (le murmure de la rivière, le grondement du vent, le flot de la voix, le chant du coq, le miaulement du violon, etc.).

On le voit, « oralité » n’est pas un trop commode synonyme d’oral – contrairement aux acceptions les plus académiques. En effet, on peut parler, d’un point de vue ethnologique (et non uniquement sémiolinguistique) de l’oralité comme culture (cultures exotique, première, enfantine, folklorique, etc.) ; de l’oralité comme genre de discours (comptine, berceuse, dicton, chanson, arts de la parole, oraliture, etc.); de l’oralité comme pratique ordinaire (oralité spontanée comme le cri, régulée comme une conversation ou formalisée/formatée comme un oral de recrutement ou… un cours magistral; mais aussi de l’oralité comme rite : la minute de silence, le témoin au tribunal ou à la mairie, le patient en analyse, la prière collective au temple, etc.) ou encore de l’oralité comme mode anthropologique de communication (s’adresser à ses morts ou à Dieu, parler aux animaux, aux objets, à soi-même). Enfin, de l’oralité comme (ambi-)valence culturelle (l’oralité comme oralitude, l’oralité civilisationnelle comme primitivité, l’oralité politique comme insoumission à l’hégémonie scripturaire ou infra-pouvoir, l’oralité comme souffle cosmogonique, l’oralité comme politique des institutions culturelles, l’oralité comme praxis artistique, fût-elle préhistorique, etc.).
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Dès lors, si l’on resserre notre propos sur les Cahiers de littérature orale et leur histoire éditoriale et intellectuelle, il est légitime de s’interroger moins sur la littérature orale comme une donnée factuelle obvie que sur les ressources que l’anthropologie culturelle et l’ethnographie des oralités font des littératures, et inversement sur ce que les productions symboliques à composantes langagières font aux questionnements culturels habituels sur les oralités. C’est ainsi que nous sommes conduits à formuler l’hypothèse cardinale que le déplacement progressif mais significatif et peut-être majeur que l’on peut observer dans nos publications depuis au moins dix ans consiste à passer d’une centration sur le corpus – la littérature orale – à un questionnement heuristique sur l’oralité et à coup sûr l’aura nouvelle des oralités (et leurs déraisons graphiques ?) [Seydou, 1989 : 50-68]. L’expression de littérature orale est-elle devenue un obstacle épistémologique à l’étude des nouvelles manifestations orales et sonores [Krause, 2018] ? Ou au contraire convient-il de maintenir les saillances sémio-linguistiques cardinales de l’oralité où se tressent présence, corporalité, vocalité, musicalité, choralité, hétérophonie, polyphonie, diaphonie, etc. ?
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En toute hypothèse, un préalable épistémologique et peut-être heuristique serait de faire une sorte d’histoire lexicale et géoculturelle de l’usage de l’expression même de littérature orale. L’expression est certes oxymorique (si l’on s’en tient à une lecture littérale et lettrée) mais la vraie difficulté réside surtout dans la cartographie évolutive et labile, improbable en somme, de son spectre sémantique [Belmont, 2014]. C’est ainsi que les occurrences de littérature parlée, poésie orale, poétique de la voix, littératures de la voix, textes oraux [Fabre et Lacroix, 1974 ; Fabre, Morel et Adell, 2016], genres oraux, littérature orale, tradition orale, mémoire parlée, civilisations de l’oralité [Calame-Griaule, 1992], arts langagiers, etc. ont pu ou peuvent se faire concurrence, s’affiliant tantôt aux arts et traditions populaires [l’expression elle-même a une longue et belligérante histoire…], tantôt aux théories de la performance [Zumthor, 1983 : 145-206], tantôt aux disciplines linguistiques et stylistiques, tantôt encore à des paradigmes anthropologiques, etc. C’est dire si la labilité notionnelle de notre objet reste comme en suspens. Toutefois, c’est peut-être là que, paradoxalement, réside… l’intérêt de nos quêtes et enquêtes. Entre ‘oralité’ et ‘oralités’ ?
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En somme – et s’il est vrai que continument « l’écrit dessine un archipel dans les vastes eaux de l’oralité humaine » [Steiner, 2007 : 8] – pourraient se dégager les quelques grands axes de
communications et de débats suivants :
A- Qu’est-ce que « la » littérature orale ? Hier, aujourd’hui, demain ?
B- Histoire linguistique et anthropologique des concepts d’oralité/auralité ;
C- Oralités entre valorisation vernaculaire et empan d’universalité ;
D- La littérature écrite (dont hypertextes) et autres pratiques artistiques contemporaines comme lieu(x) d’oralités vives et in/ouïes ;
E- Oralités et études culturelles [études intersectionnelles, études postcoloniales ou décoloniales, études des mondes et ambiances sonores, etc.] ;
F- Archives, technologies & transferts des oralités (enregistreur, radio, télévision, ordinateur, etc.)
G- Oralité(s) dans les institutions nationales et internationales d’enseignements et de recherches

Les propositions de communication sont à envoyer avant le 15 septembre 2024 au comité d’organisation en précisant en objet « colloque du centenaire » à l’adresse de la revue :
cahierslitteratureorale@gmail.com.
Pour avoir une idée des derniers travaux publiés dans les Cahiers de littérature orale, voir :
https://journals.openedition.org/clo/
Pour soutenir la revue, vous pouvez adhérer à l’association « Les ami·es des Cahiers de littérature orale ». Le formulaire d’adhésion est disponible en ligne :
https://docs.google.com/document/d/1xiynNZcD6TRoUTyECy12zDgJV0Ee4MTx/edit?usp=sharing&ouid=109308021317192081139&rtpof=true&sd=true

Références bibliographiques indicatives

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/10.3917/autr.073.0139
Belmont Nicole, « Couvrez ce conte que je ne saurais voir », Cahiers de littérature orale, 75-76, 2014.
DOI : https://doi.org/10.4000/clo.1844
Belmont Nicole, Petit-Poucet rêveur, la poésie des contes merveilleux, Paris, J. Corti, 2017.
Belmont Nicole & Cécile Leguy, « Éditorial », Cahiers de littérature orale, 83 (dossier « Geneviève Calame-Griaule »), 2018, 9-17. DOI : 10.4000/clo.4586
Belmont Nicole & Josiane Bru, « L’ethnologue et la littérature orale en France : Marie-Louise Tenèze et l’analyse structurale du conte merveilleux », in Bérose – Encyclopédie
internationale des histoires de l’anthropologie, 2022. URL Bérose : article2730.html
Bertho Elara, Sorcières, tyrans, héros. Mémoires postcoloniales de résistants africains, Paris, Honoré Champion, 2018.
Birat Kathie, « Nathaniel Hawthorne et les voix du passé », Cahiers de littérature orale, 75-76, 2014. DOI : https://doi.org/10.4000/clo.1861
Bornand Sandra & Cécile Leguy, Anthropologie des pratiques langagières, Paris, A. Colin, 2013.
Bornand Sandra & Zoé Carle, « Éditorial », Cahiers de littérature orale, 91-92 (dossier « Donner de la voix : slogans et chants contestataires »), 2023. DOI : https://doi.org/10.4000/clo.11672
Brouillet Manon, « Les femmes veulent prendre la parole. Oralité contestataire et performance de genre chez Aristophane », Cahiers de littérature orale, Hors-Série, 2020. DOI :
https://doi.org/10.4000/clo.7358
Calame Claude et al. (dir.). La voix actée. Pour une nouvelle ethnopoétique. Paris, Kimé, 2010.
Calame-Griaule Geneviève, Ethnologie et Langage. La parole chez les Dogon, Paris, Gallimard, 1965 [rééd. 2009 chez Lambert Lucas].
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Calapi Sisa, Marmone Giordano & Katell Morand (dir.), « Conflits et agressivité » (dossier thématique), Cahiers d’ethnomusicologie, 33, 2020. https://journals.openedition.org/ethnomusicologie/3898
Carle Zoé, Poétique du slogan révolutionnaire, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2019.
Descola Philippe, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005 [rééd. Folio, 2016].
Diawara Mamadou, L’empire du verbe et l’éloquence du silence. Vers une anthropologie du discours dans les groupes dits dominés au Sahel, Cologne, Rüdiger Köppe, 2003.
Duranti Alessandro, « L’oralité avec impertinence », L’Homme, 189, 2009. DOI : https://doi.org/10.4000/lhomme.21978
Fabre Daniel & Jacques Lacroix, « Le texte oral », La tradition oral du conte occitan, I, Paris, PUF, 1974, 87-106.
Fabre Daniel, Entretien de Daniel Fabre avec Alain Morel et Nicolas Adell, collection « L’Ethnologie en héritage », n°18, réalisateur : Gilles Le Mao ; producteur : Gilles Le Mao et Stéphane
Jourdain/La Huit | 2016, 180 min. https://www.berose.fr/article2084.html
Feld Steven, Son et sentiment. Oiseaux, pleurs, poésie et chant chez les Kaluli de Papouasie-Nouvelle Guinée, Genève, Héros-Limite, 2023.
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