Conférence : Leïla Ben Hamad, “La constructionalisation : enjeu de la genèse des unités phraséologiques ?”, 25 mai, EPHE
Société de Linguistique de Paris
École Pratique des Hautes Études (EPHE), IVe section
La séance aura lieu
en présence à l’EPHE, en Sorbonne, escalier E, 1er étage, salle Gaston Paris
et pourra être suivie à distance par Microsoft Teams :
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Séance du samedi 25 mai 2024 (17h-19h)
Le cas de en somme et somme toute
Leila Ben Hamad
Maître assistante à l’université de Sousse, Tunisie
La présente contribution vise à considérer la constructionalisation dans toute l’épaisseur de son déroulement à travers l’analyse de cas empiriques précis. Nous nous pencherons notamment sur la genèse des deux unités phraséologiques en somme et somme toute, qui sont plus différentes que ne le laisse transparaître l’apprente équivalence bien établie.
Nous tenterons, au fil de l’exposé, de discerner les critères susceptibles de définir ces paires forme-sens (« [[F] 1 [M]] pairings ») qui ne sont équivalentes ni syntaxiquement ni sémantiquement, malgré leurs ressemblances. Pour l’essentiel, l’enjeu sera de rendre compte des facettes diverses de chacune, des proximités syntactico-sémantiques qui les unissent en même temps que des différences conceptuelles qui les éloignent. Nous montrerons qu’il s’agit de deux unités complexes qui peuvent être abordées sous l’angle de la ‘Grammaire de Construction’, qui considère les constructions comme les unités fondamentales de la langue (Goldberg, 1995, 4). Nous verrons que l’exigence d’unité que ces constructions portent en elles, et qui, en un sens, les définit, ne peut se satisfaire du simple schème de « globalisation », basé sur l’idée que leurs parties constitutives s’agrègent et se conjoignent dynamiquement pour construire du sens mais gardent leur sens originel, spécifique et irréductible.
Nous essayerons aussi de mettre à nu les filiations diachroniques de ces constructions, ainsi que les mécanismes formels et conceptuels qui les sous-tendent. Nous tâcherons de reconstituer finement le processus de leur émergence, i.e. de saisir comment elles commencent par développer un sens « global » à partir de celui de leurs composantes, qui conservent une signification stable, identique, toujours vivante, actualisable et couramment actualisée avant que leur potentialité signifiante les place à un échelon plus élaboré de construction du sens, les dotant d’un statut d’« unités liées » (« chunks »), munies de propriétés spécifiques qui accroissent leur périmètre d’action. Nous brosserons les principales étapes de ce processus qui consiste à les intégrer dans l’ensemble (micro)systématique des « marqueurs de structuration discursive » (« discourse structuring markers », Traugott, 2022), et plus précisément dans celui de marqueurs qui autorisent un retour en arrière sur le contexte-amont (« markers ofreturn to a prior topic », au dire du même auteur), en mettant en évidence la nature des contextes qui en sont la condition.
Nous inviterons dans le débat la théorisation du changement linguistique que l’analyse de la genèse de ces constructions, en tant que déroulement de faits synchroniques sur un axe longitudinal, pourra contribuer à éclairer. Nous testerons l’efficience des tendances évolutives décrites dans le cadre de la grammaticalisation, la pragmaticalisation et la cooptation. Nous évaluerons in fine la validité des soubassements théoriques des approches dites constructionnelles, en faisant état des différents mécanismes intervenant dans leur élaboration progressive, et notammant la « néoanalyse » et l’inférence ou l’instruction pragmatique (« pragmatic inferencing »). Nous aurons aussi l’occasion de repositionner, ce faisant, les concepts de subjectification et d’intersubjectification en tant que processus cognitivo-communicationnels qui motivent l’évolution linguistique et de revenir sur les notions de « compositionalité », d’« analysabilité », de « schématicité » et de « productivité ».
Nous inviterons la communauté linguistique à revenir, par là même, sur le « dogme » du « systémisme » qui forme la clé de voûte des courants diachroniques, actuellement en plein essor, ayant pour but de « découvrir des régularités, non seulement au niveau des phénomènes de langue, mais aussi, et à travers eux, dans les opérations mentales récurrentes qui gouvernent l’activité langagière des locuteurs » (Marchello-Nizia, 2006 : 22), et à se demander dans quelle mesure la logique des langues naturelles est tributaire de principes abstraits qui régissent des processus réguliers et si l’on doit procéder à la recherche d’une « théorie du Tout », propre à décrire de manière cohérente et unifiée l’ensemble des interactions fondamentales des faits de changement et variations linguistiques.
Les perspectives esquissées ici invitent aussi à reconsidérer les outils conceptuels nécessaires à l’analyse des faits de sens. Elles relativisent, en la recadrant, les sempiternelles discussions sur la synonymie, la polysémie et/ou l’homonymie, l’invariance ou la variation du sens des formes linguistiques, leur autonomie, leur rapport au monde ou à la pensée. Le modèle traditionnel de la catégorialité trouve aussi, incidemment, l’occasion d’une réévaluation, d’un réexamen ou d’un affinement. Nous aurons souligné, de fait, qu’aucune catégorie ne peut rendre compte de l’imbrication de l’identité et de la différence au sein des unités complexes que sont les « locutions adverbiales » et que la trans-catégorialité est consubstantielle au langage naturel, due aussi bien au caractère non discret des catégories qu’au caractère imparfait du langage naturel, qui n’a pas les propriétés d’une langue algébrique et est fondé sur le flou, le vague.
Pour mener à bien ce projet, nous aurons effectué des requêtes sur les bases informatisées BFM, DMF, Frantext, Google books N gram Viewer et Wortschatz.Seule, en effet, une approche ‘outillée’ et fine, conduite sur un corpus étendu de textes qui couvre la langue française dès le premier état du français écrit jusqu’au français d’aujourd’hui, permet de renoncer au « “figement” en segments temporels d’une réalité caractérisée par la continuité » (Combettes & Marchello-Nizia, 2008).
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Informations de connexion :
ID de réunion : 324 085 945 134
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Programme des séances en 2024:
Samedi 15 juin 2024: Walter de Mulder “le localisme en diachronie et en synchronie”
Lundi 28 octobre : journée annuelle de la SLP
Samedi 16 novembre 2024: Aimée Lahaussois “Classes de mots “marginales” en langues kiranties (Népal oriental) : idéophones et interjections”
Samedi 14 décembre 2024: Carlotta Viti “Sur le changement sémantique et la reconstruction sémantique”.