Séminaire : Lucien van Peek, “Métaphore et étymologie dans les langues indo-européennes anciennes”, 27/04, Paris

Séminaire : Lucien van Peek, “Métaphore et étymologie dans les langues indo-européennes anciennes”, 27/04, Paris

Société de Linguistique de Paris
École Pratique des Hautes Études (EPHE), IVe section

La séance aura lieu en présence à
l’Ecole Normale Supérieure, 45 rue d’Ulm
Centre d’Etudes Anciennes (rez-de-chaussée, couloir à droite dans le hall), salle de Séminaire

et pourra être suivie à distance par GoToMeeting:
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(informations complémentaires plus bas)

 

Séance du samedi 27 avril 2024 (17h-19h)

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Métaphore et étymologie dans les langues indo-européennes anciennes
Dr. Lucien van Beek, universitair docent, Université de Leiden

L’étude comparative des langues indo-européennes a élargi notre compréhension de la phonologie, de la morphologie et, dans une moindre mesure, de la syntaxe. De plus, depuis peu la triangulation linguistique – archéologie – génétique a fourni des connaissances remarquables au sujet des migrations préhistoriques, qui vont sans doute augmenter dans les prochaines années.
Mais qu’est-ce que ces connaissances nous enseignent, effectivement, sur l’homme ? Qui étaient les locuteurs de ces langues, quel était le monde intellectuel qu’ils habitaient ? Ce genre de questions a été le point focal du travail de plusieurs grands indo-européanistes, comme par exemple É. Benveniste et E. Campanile. Campanile (1974) a proposé, en effet, une méthode explicite pour reconstruire des métaphores concrètes pour l’indo-européen commun.
En m’inscrivant dans cette lignée, je me propose de montrer dans mon exposé comment la Théorie des Métaphores Conceptuelles (TMC, anglais : Conceptual Metaphor Theory), qui s’est développée dans la linguistique cognitive depuis plus de 40 ans, peut aider nos analyses et reconstructions de l’indo-européen. Un apport crucial de cette théorie est l’unidirectionalité des MC, qui expriment un sens abstrait (domaine cible) dans les termes d’un sens concret (domaine source). Cela nous permet de reconstruire avec plus de confiance des sens premiers et des sens dérivés pour des lexèmes ou racines indo-européennes. Mais les apports d’une telle étude des métaphores sont plus diversifiés: elle nous aide à renforcer nos analyses étymologiques, ou bien à éclaircir des mots ou passages obscurs dans les textes (p.ex. Campanile 1986). Dans quelques cas heureux, une reconstruction des métaphores pourrait même jeter une lumière nouvelle sur les manières de penser des locuteurs préhistoriques des langues indo-européennes, qui n’étaient probablement pas toujours identiques aux nôtres.
En effet, il existe une historicité des MC. Par exemple, comme W. Short l’a récemment documenté en détail (Short 2013), pour exprimer la notion d’erreur le grec ancien et le latin se servent de systèmes de métaphores qui sont assez différents dans le détail. On a affaire à une symbiose de la langue avec la culture (poétique, rhétorique, etc.). De cette façon, la documentation de métaphores dans le lexique des langues i.-e. anciennes (ou, dans des formes figées, dans l’étymologie) peut donc contribuer à une description typologique des MC qui est moins unilatérale que les descriptions qui ne visent que les langues modernes.
On discutera trois exemples pour illustrer ces observations. D’abord, nous traiterons de deux exemples tirés de travaux déjà publiés (van Beek 2017): ceux du nom grec du ‘droit’ (δίκη) et du verbe grec βλάπτειν ‘décevoir ; léser’. Chacun de ces mots témoigne des deux MC suivantes : 1. la projection de la notion de lieu ou déplacement sur la structure d’un événement (anglais : Location Event Structure Metaphor ; comparer p. ex. Dancygier et Sweetser 2014, ch. 3), et 2. les mots sont des flèches, qui est largement répandu en grec, notamment dans la langue poétique (Durante 1958; Zanker 2019, ch. 3). Pour βλάπτειν, la comparaison étymologique avec le sanskrit marc ‘décevoir ; léser, nuire à’ (et sa contrepartie avestique) est souvent mise en doute, mais elle est confirmée et renforcée à partir du moment où l’on compare les acceptions métaphoriques des mots apparentés en grec et en indo-iranien, métaphores qui sont presque identiques dans le détail (comme noté déjà par Teijeiro 1972).
Puis, nous proposerons une nouvelle analyse étymologique pour le mot grec κερτομέω ‘moquer, railler’. Les étymologies proposées jusqu’ici (p. ex. Perpillou 1986; Clarke 2001; García Ramón 2007), qui rattachent la partie -τομέω au verbe τέμνω ‘couper’, ne sont, à mon avis, pas satisfaisantes. En revanche, je propose que -τομέω a une origine toute autre : κερτομέω peut être lié à une interaction de plusieurs MC différentes, notamment les mots sont des flèches et provoquer c’est toucher le cœur.

Bibliographie

van Beek, Lucien. 2017. Die Bildersprache des Rechts im Indogermanischen: Griechisch ἰθεῖα δίκη und δίκην βλάπτειν. Dans: H. Bichlmeier et A. Opfermann (dir.), Das Menschenbild bei den Indogermanen, 129-150. Hamburg.
Benveniste, Émile. 1969. Le vocabulaire des institutions indo-européennes. Paris.
Campanile, Enrico. 1974. I.E. Metaphors and non-I.E. Metaphors. Journal of Indo-European Studies 2, 247 ff.
Campanile, Enrico. 1986. ἀνόστεος ὃν πόδα τένδει. Dans: A. Etter (dir.), O-o-pe-ro-si. Festschrift für Ernst Risch zum 75. Geburtstag, 355- 362. Berlin.
Clarke, Michael. 2001. ’Heart-cutting talk’: Homeric κερτομἐω and related words. Classical Quarterly 51, 329-338.
Dancygier, Barbara et Eve Sweetser. 2014. Figurative Language. Cambridge.
Durante, Marcello. 1958. Epea pteroenta. La parola come ‘cammino’ in immagini greche e vediche. Rendiconti. Classe di Scienze morali, storiche e filologiche13, 3-14.
García Ramón, José Luis. 2007. “Altlatein cortumiō ‘Geländeausschnitt’, idg. *kr-tomh1-ó- *‘(Schnitt) schneidend’, contemnō ‘schmähe’ und griechisch κέρτομος ‘schmähend’, κερτομέω ‘schmähe’.” Aevum antiquum 7 (NS), 285-298.
Perpillou, Jean-Louis. 1986. De « couper » à « insulter ». Dans: A. Etter (dir.), O-o-pe-ro-si. Festschrift für Ernst Risch zum 70. Geburtstag, 72-84. Berlin.
Short, W. 2013. Getting to the Truth: The “Wandering” Metaphor of Mistakenness in Roman Culture. Arion 21, 139-168.
Teijeiro, Manuel García. 1972. A propósito de una cuestión de método: la relación entre gr. βλάπτω y ai. mrcyati (marcáyati). Dans: F. Adra­dos (dir.), Homenaje a Antonio Tovar: ofrecido por sus discípulos, colegas y amigos, 455–464. Madrid.
Zanker, Andreas. 2019. Metaphor in Homer: Time, Speech and Thought. Cambridge.
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Lundi 28 octobre : journée annuelle de la SLP
Samedi 16 novembre 2024: Aimée Lahaussois “Classes de mots “marginales” en langues kiranties (Népal oriental) : idéophones et interjections”
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