« Les conceptions de la phrase dans les traditions linguistiques européennes »
Projet de volume thématique pour la revue Langages
Porteuse du projet : Sophie Jollin-Bertocchi (Université Paris-Saclay, UVSQ)
Date de réception des articles : 15 septembre 2024
A adresser à
sophie.bertocchi-jollin@uvsq.fr
https://www.revues.armand-colin.com/lettres-langue/langages(pour la feuille de style)
Date de retour des évaluations : 15 novembre 2024
Date de remise définitive des articles : 15 février 2025
Argumentaire
Jean-Pierre Seguin (1993)[1] a retracé la naissance de la notion de phrase française moderne, au XVIIIe siècle. À partir du discours des grammairiens de cette époque, il a suivi la gestation de la notion et montré comment s’est opéré son passage progressif du lexique à la grammaire, de l’oral à l’écrit, et de l’objet empirique relevant d’une évidence commune au modèle de production syntaxique.
Au XVIIe siècle, le mot phrase est peu employé et signifie « expression », « locution », « tour de phrase ». Sur le terrain grammatical, il est en concurrence avec la proposition logique de Port-Royal et la périoderhétorique – et il le restera jusqu’au XXe siècle. Le discours scolaire a joué un rôle important dans l’acclimatation d’une nouvelle idée de la phrase ; celle-ci n’est plus seulement un assemblage de mots mais une unité cohérente du discours ; elle devient confusément une unité prédicative. Enfin, comme le montrent les ouvrages de rhétorique, la phrase se situe au carrefour de la grammaire, de la logique et de l’esthétique.
Dans la première moitié du XVIIIe siècle, elle est donc une notion polysémique mais bien implantée dans le sentiment linguistique français ; sa souplesse la rend disponible pour recevoir sa définition moderne. Les deux dernières décennies du siècle consacrent la triple institutionnalisation de la phrase moderne : mythique, scolaire et terminologique. Domergue dissipe les hésitations terminologiques et signe l’acte de naissance de la phrase française conçue comme un ensemble hiérarchisé de propositions, comportant un sujet et un verbe, clos par la ponctuation, et constituant une unité de sens et d’intonation.
Le XIXe siècle, à travers la grammaire scolaire, a poursuivi la grammaticalisation de la phrase française, dans sa double dimension morpho-syntaxique (nature et fonction) et sémantique du point de vue de la construction argumentative (analyse logique), avant que la linguistique moderne, au XXe siècle, ne s’attache à la théoriser dans le domaine de la syntaxe. L’effervescence théorique autour de la phrase, dans l’espace francophone, de Meillet à Le Goffic, et dans l’espace anglophone, de Harris à Chomsky, s’est efforcée de modéliser la diversité des phrases, ou bien au contraire a rejeté la notion en raison des apories de sa définition linguistique, mise en évidence par les travaux sur l’oral (Blanche-Benveniste en France), au profit d’une vision macrosyntaxique (Berrendonner). Si les controverses autour de la notion de phrase se sont apaisées, et si la notion a résisté, l’on hésite encore aujourd’hui entre la phrase comme modèle abstrait et énoncé concret, prototype et entité polymorphe.
Notion à la fois savante et profane – comme le montre la vogue des recueils de phrases célèbres et, depuis quelques décennies, des « petites phrases » du personnel politique –, la phrase reste aujourd’hui au cœur de l’enseignement de la langue française, comme des études du style littéraire.
Dans le sillage du numéro de Langages 2017/1 (N°205), coordonné par Valérie Raby, qui traitait de L’énoncé dans les traditions linguistiques, et qui portait sur les langues anciennes (latin et grec) et des langues extra-européennes, le dossier envisagé propose d’élargir l’exploration sur la notion de phrase en se centrant sur les traditions linguistiques européennes. Il portera sur l’histoire des savoirs linguistiques constitués sur la phrase. L’étude des conceptions théoriques n’exclut toutefois pas celle des imaginaires, des représentations subjectives relevant d’un sentiment linguistique ou épilinguistique, et susceptibles de se manifester même dans la linguistique savante. Le dossier mettra en regard des traditions d’analyse différentes formulées en diverses langues, à partir des questions suivantes :
- Les théories de la phrase existent-elles dans toutes les traditions linguistiques ? À quelle(s) époque(s) émergent-elles ?
- Quels sont les auteurs et les courants de la pensée linguistique, dans chacune des traditions considérées, qui ont fait évoluer l’analyse de la phrase ? Quelles sont les formes, les enjeux et les limites des définitions élaborées ?
- Comment les théories de la phrase ont-elles circulé d’une tradition à l’autre ?
- La notion de phrase est-elle cantonnée au domaine grammatical et linguistique ou a-t-elle essaimé dans le champ de la critique littéraire ? Peut-on distinguer des approches métalinguistiques savantes et des approches métalinguistiques profanes et intuitives ?
Les articles pourront être rédigés en français ou en anglais.
Contributions attendues : Une contribution au moins portant sur chaque famille de langues européennes modernes.
Résultats attendus : L’objectif est de révéler les points de croisement des réflexions, au-delà de la différence des langues, des cultures et des cadres interprétatifs. Les articles individuels pourront s’appuyer sur une perspective comparative, laquelle permet d’envisager un ou des classements typologiques.
Conceptions of the Sentence in European Linguistic Traditions
Argument
Jean-Pierre Seguin (1993) retraced the birth of the notion of the modern French sentence in the 18th century. By analysing the discourse of the grammarians of the period, he followed the gestation of the concept and showed how it progressed gradually from the lexicon to the grammar, from oral to written forms, and from an empirical object based on common evidence to a syntactic production model.
In the 17th century, the word phrase was rarely used, and meant « expression », « set phrase » or « turn of phrase ». In grammatical terms, it was in competition with the logical proposition of Port-Royal and the rhetorical period – and would remain so until the 20th century. Schoolroom texts and discourse played an important role in propagating a new idea of the sentence: no longer as just a collection of words but as a coherent unit of discourse; somewhat uncertainly, it became a predicative unit. Finally, as works on rhetoric show, the sentence is at the crossroads of grammar, logic and aesthetics.
In the first half of the 18th century, then, the phrase was a polysemous concept, but one that had become well established in the French linguistic consciousness; its flexibility made it apt to receive its modern definition. The last two decades of the century saw the threefold institutionalisation of the modern phrase: mythical, academic and terminological. It was Domergue who dispelled any terminological hesitations and signed the birth certificate of the French sentence, conceived of as a hierarchical set of propositions, comprising a subject and a verb, closed by punctuation, and constituting a unit of meaning and intonation.
In the 19th century, school grammar continued the process of grammaticalisation of the French sentence, in both its morpho-syntactic dimension (nature and function) and its semantic dimension from the point of view of argumentative construction (logical analysis), before modern linguistics – French in the first third of the twentieth century, then American around the middle of the century – set about theorising it in the field of syntax. In the French-speaking world, from Meillet to Le Goffic, and in the English-speaking world, from Harris to Chomsky, new theoretical approaches to the notion of the sentence either led to modelling of sentences in all their diversity; or, on the contrary, rejected the notion because of the aporias of its linguistic definition, highlighted by research on oral discourse (Blanche-Benveniste in France), which favoured a macrosyntactic vision (Berrendonner). Although the controversies surrounding the notion of the sentence have subsided, and the notion has endured, we still hesitate today between the sentence as an abstract model and a concrete statement, a prototype and a polymorphic entity.
A notion that is both scholarly and non-learned – as shown by the vogue for collections of famous quotations and, in recent decades, the “buzzwords” of political figures – the sentence remains at the heart of French language teaching today, as well as studies of literary style.
In the wake of the issue of Langages 2017/1 (No. 205), coordinated by Valérie Raby, which dealt with the question of the utterance in different linguistic traditions, focusing on Classical languages (Latin and Greek) and non-European languages, this dossier proposes to broaden the exploration of the notion of the sentence by focusing on European linguistic traditions. It will focus on the history of linguistic knowledge concerning the sentence. The study of theoretical conceptions does not, however, exclude the study of imaginary constructions and subjective representations based on linguistic or epilinguistic sentiment, which may appear even in academic linguistic research. The dossier will compare different traditions of analysis formulated in different languages, based on the following questions:
– Do theories of the sentence exist in all linguistic traditions? When did they emerge?
– Which authors and currents of linguistic thought, in each of the traditions considered, have contributed to the development of sentence analysis? What are the forms, issues and limits of the definitions that have been developed?
– How have theories of the sentence moved from one tradition to another?
– Is the notion of the sentence confined to the grammatical and linguistic domain, or has it spread to the field of literary criticism? Can we distinguish between scholarly metalinguistic approaches and non-scholarly, intuitive metalinguistic approaches?
Articles may be written in French or English.
Expected contributions: At least one contribution on each modern European language family.
Expected results : The aim is to reveal the points of intersection of reflections, beyond the difference of languages, cultures and interpretative frameworks. Individual articles may be based on a comparative perspective, which allows for the possibility of typological classification.
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