Le changement linguistique
Agents, formes et conséquences
Appel à contribution pour la revue Paradigmes
vol. VII, n° 2 – mai 2024
Éditeurs :
Dre Lynda ZAGHBA (Université de M’Sila, Algérie)
Dre Rima BENKHELIL (Université de M’Sila, Algérie)
Laboratoire des Études Linguistiques Théoriques et Pratiques
Pr. Foudil DAHOU (Université de Ouargla, Algérie)
Laboratoire Le Français des Écrits Universitaires
Date limite : 15 avril 2024
Argumentaire
La problématique du changement linguistique occupe une place exceptionnelle dans les sciences du langage : elle a toujours été au cœur des réflexions sur les langues ; de la linguistique historique à la sociolinguistique contemporaine, en passant par la linguistique structurale – qui a été la première à formuler de manière positive l’objet et la nature de l’étude scientifique du langage. Bien que ces disciplines semblent, en apparence, se distinguer par leurs démarches et leurs objectifs, elles révèlent, dans les faits, une continuité profonde dans la mesure où toutes les sciences du langage soulignent la nature évolutive inhérente aux langues – une « réalité » à laquelle aucune ne peut échapper. Il suffit de comparer les œuvres françaises du XVIe siècle à celles du XVIIIe ou aux œuvres contemporaines pour se rendre compte de l’insurmontable difficulté à comprendre les textes anciens en raison même de cette évolution linguistique. N’est-il pas vrai, comme le rappelle souvent Edgar Morin, que « tout ce qui ne se régénère
pas, dégénère » (Dortier, 2011, p. 157) ? Ferdinand Brunot, dans son Histoire de la langue française des origines à 1900, énonce une distinction entre l’histoire externe – centrée sur le rôle social d’une langue –, et l’histoire interne – qui se penche sur l’évolution des structures et des composantes d’une langue
(Bergounioux, 2023). L’histoire interne s’est particulièrement manifestée dans les domaines de la phonétique et de la morphologie. Des « lois phonétiques » ont été établies pour décrire la transition du latin au français comme c’est notamment le cas du a tonique, situé à la fin de la première syllabe d’un mot latin et qui se transforme en français en un è (pater devient père) (Martin, 2014). Antoine Meillet (1912), se penchant sur l’évolution morphosyntaxique du français identifie quant à lui deux processus qui engendrent une nouvelle forme grammaticale : l’innovation analogique (telle la formation de nouveaux verbes par l’ajout du paradigme de conjugaison) et la grammaticalisation ou « le passage d’un mot autonome au rôle d’élément grammatical » (Meillet, 1912, p. 385) – c’est le cas précisément de la
négation en français qui est passée progressivement de ne à ne pas (Bessler, 2012). En ce qui le concerne, initialement orienté vers l’étude du versant sonore des langues, Michel Bréal finit par délaisser cette perspective afin de se consacrer plus spécifiquement à la sémantique après s’être intéressé au changement sémantique (Bréal, 1888). Bien que le concept existât déjà nommément après la publication de La vie des mots en 1887 par Arsène Darmesteter (Bergounioux, 2023), il est d’usage de renvoyer à Bréal dans les études sémantiques car c’est à lui que l’on attribue la définition de la nouvelle discipline, plaidant en faveur du rôle de la sémantique dans l’ensemble des études du langage : « L’histoire des formes du langage n’est
qu’une moitié de la grammaire comparative et […] cette étude purement extérieure des mots doit toujours être éclairée et contrôlée par l’examen de la signification […] l’observation extérieure des mots, poursuivie exclusivement, […] donnerait une idée inexacte de l’histoire du langage, et […] laisserait même ignorer la
véritable cause de la transformation des idiomes » (Bréal, 1866, cité par Verleyen, 2006)
Bréal percevait déjà les limites d’une analyse parcellarisé qui isole la description externe de l’analyse interne des mots – mettant en évidence le rôle des connaissances sémantiques qui dépassent les phénomènes observables – et explore la terra incognita de la signification.
Saussure (1916), en réaction aux études antérieures qui étaient souvent dominées par un comparatisme entre les langues et les états de langues, introduit la dichotomie synchronie/diachronie pour se référer à deux dimensions de la langue. La synchronie renvoie à l’état de la langue à un moment donné de son évolution, tandis que la diachronie renvoie à son évolution dans l’histoire. Cette dichotomie suppose que chaque point de vue se concentre sur l’étude d’un objet distinct : la synchronie s’attache à décrire le système que Saussure présente comme immuable, alors que l’analyse diachronique met en valeur les éléments externes au système, lesquels contribuent au changement linguistique. Saussure va plus loin encore en soulignant l’abandon de la perspective historicisante qui caractérisait jusqu’alors les
recherches linguistiques du XIXe siècle : « Après avoir accordé une trop grande place à l’histoire, la linguistique retournera au point de vue statique de la grammaire traditionnelle, mais dans un esprit nouveau et dans d’autres procédés et la méthode historique aura contribué à ce rajeunissement ; c’est elle
qui, par contre-coup, fera mieux comprendre les états de langue. » (1916/1967, p. 119)
De fait, l’étude synchronique de la langue suppose que celle-ci possède une forme stable à des moments de son évolution, et le rôle du linguiste consiste alors à décrire la forme et les règles de la langue telle qu’elle est pratiquée à un moment donné de l’histoire d’une société – quand l’étude diachronique se donne pour tâche de retracer la dynamique d’une langue tout au long de son évolution, au fil de son histoire. Cependant, les travaux en sociolinguistique variationniste, initiés par William Labov et développés dans la lignée des travaux d’Henri Frei (1929), ont mis en évidence une évolution en synchronie qui apparaît sous forme de variations linguistiques au sein de la même langue. En ce sens, une langue n’est pas uniformément utilisée par ses locuteurs – prenons, par exemple, le cas du français : différentes variétés sont utilisées dans le monde, telles que le français d’Afrique (français du Maghreb, le français algérien, le français sénégalais, le français populaire burkinabè, le français ivoirien) ainsi que le camfranglais résultant de la combinaison de la langue camerounaise, du français et de l’anglais. Il importe cependant de retenir ici que la relation entre variation et changement linguistique est complexe – sachant que les variations linguistiques ne conduisent pas toujours à un changement linguistique, alors que les changements linguistiques sont liés à des phénomènes de variation (Weinreich et al., 1968).
Concrètement, suite à l’arrivée du Web 2.0 (social, 2000), Web 3.0 (sémantique, 2010) et Web 4.0 (intelligent, 2020) ; prises dans une véritable « nébuleuse spirale », les activités humaines se trouvent complètement transformées, engendrant non seulement une nouvelle forme de vie sociale mais également une modalité d’interactivité, d’intercommunication et d’interaction nouvelle. En pratique, cette « dynamique du tourbillon » altère et produit à la fois des types langagiers inédits, des formes linguistiques originales, exerçant ainsi des forces permettant le rééquilibre (ou un déséquilibre régénérateur) de l’ensemble de la configuration – les recherches actuelles, en raison des changements profonds
provoqués par la technologie en général et les récents réseaux d’échanges en particulier, mettent en lumière des répercussions de l’innovation technologique sur la structure et le fonctionnement du langage quotidien dont les changements lexicaux sont les plus évidents (Labov, 1983). Une telle réalité accentue davantage les corrélations entre la géographie sociale et la géographie linguistique soulignées auparavant par Meillet. Pourtant, ce rapport entre société et langage, loin d’être aisément examiné selon une binarité simpliste, doit être perçu au contraire comme phénomène extraordinaire dont les principes d’intelligibilité n’obéissent pas à une loi unique. Cette nouvelle configuration de la vie humaine, des sociétés et des langues donne leur légitimité à toutes les interrogations sur le changement linguistique.
C’est pourquoi, l’ambition de ce numéro de Paradigmes est double. D’une part, offrir aux chercheurs l’opportunité de développer des problématiques liées aux horizons théoriques des études sur le changement linguistique ainsi que de cataloguer les dialogues qui peuvent en émerger. D’autre part, permettre aux chercheurs de circonscrire des cas de changements linguistiques selon des contextes différents afin d’en identifier les agents et d’en comprendre les formes de même que d’en saisir les conséquences réelles au plus près de leurs manifestations respectives.
Les contributions peuvent s’inscrire dès lors dans les axes suivants (liste indicative) :
⎯ Les formes et les descriptions des changements linguistiques.
⎯ L’évolution des systèmes grammaticaux.
⎯ L’évolution phonologique des langues.
⎯ Les corrélations entre société, histoire et changement linguistique.
⎯ Les agents et les causes du changement linguistique.
⎯ Les contacts de langues et le changement linguistique.
⎯ Le numérique et les nouvelles formes linguistiques.
⎯ La variable âge et le figement et / ou changement linguistique.
⎯ La littérature et le changement linguistique.
⎯ L’enseignement des langues et le changement linguistique.
⎯ La variation linguistique.
⎯ Les étapes du changement linguistique.
⎯ Les conséquences du changement linguistique
Cet appel à contribution s’adresse à tous les universitaires, quel que soit leur grade, ainsi qu’aux doctorants
et post-doctorants qui souhaitent émettre leurs opinions et rendre compte de leurs expériences personnelles.
Les auteurs sont invités à soumettre en format Word leurs propositions d’articles via la plateforme ASJP suivant le lien : https://www.asjp.cerist.dz/en/PresentationRevue/646
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Pour tous renseignements complémentaires s’adresser à : revueparadigmes@gmail.com
Dates importantes :
⎯ Lancement de l’appel à contribution : 15 janvier 2024
⎯ Dernier délai pour la réception des articles : 15 avril 2024
⎯ Réponse aux auteurs : à partir du 20 avril 2024
⎯ Publication et mise en ligne : mai – juin 2024