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Colloque international, université Grenoble Alpes, 14-15 janvier 2022
La corrélation en diachronie longue (1450-1800). Phrase, texte et discours
Appel à communications
La notion de « corrélation » traverse les études grammaticales et littéraires des XXe et XXIe siècles ; mais son omniprésence contraste étonnamment avec la mollesse de sa définition. Pour la grammaire traditionnelle, une structure corrélative prend la forme d’une subordonnée comparative ou consécutive introduite par le joncteur que et annoncée dans la proposition principale par un adverbe d’intensité, tel si ou plus. La corrélation réalise alors une contrainte syntaxique forte : une subordonnée de ce type est intimement liée au premier adverbe, qui agit comme un déclencheur de corrélation et n’est ni supprimable ni mobile :
(1a) Il est si grand qu’il dépasse tout le monde.
(1b) *Il est grand qu’il dépasse tout le monde.
(1c) ?Il est si grand.
(1d) *Qu’il dépasse tout le monde, il est si grand.
La corrélation peut également prendre la forme d’une structure avec parataxe, par exemple à nouveau avec un adverbe d’intensité comme autant ou plus. Comme précédemment, les deux membres de la corrélation sont nécessaires quant à la grammaticalité de la proposition et l’ordre entre eux est marqué :
(2a) Autant je l’admirais, autant je le méprise à présent.
(2b) *Autant je l’admirais.
(2c) Autant je le méprise à présent, autant je l’admirais.
Ces derniers exemples font sortir la corrélation de la seule question de la subordination et de l’hypotaxe, et ce bien que ces deux notions soient intimement liées dans les langues romanes comme le défend Muller (1999). En effet, si nous retenons le principe de dépendance réciproque entre un premier élément en appelant un second pour atteindre une sorte de complétude, d’autres structures en langue sont qualifiables pour être définies comme « corrélatives ». Par exemple, ce qui est de l’ordre de l’intensité ne peut se comprendre que dans la confrontation entre un point de repère et une évaluation. Des joncteurs, conjonctions ou connecteurs, tels la coordination négative ni… ni et les adverbes temporels parfois et quelquefois, produisent ce que l’on peut appeler des « zones de corrélation » (Guiraud 2008). Plus largement, toute découpe partonomique suppose corrélation, dans la mesure où deux ensembles sont mis en relation, même implicitement :
(3a) Certains disent… (et les autres disent…).
Il existe même des occurrences dépourvues de lexèmes proprement corrélatifs, mais exprimant pourtant un rapport entre deux prédications :
(3b) Donnez-moi ce que je veux, et je vous laisse tranquille.
Il semble dès lors nécessaire d’envisager la corrélation de manière extensive, autrement dit sous un angle sémantique et pragmatique plutôt qu’exclusivement sous un angle morphosyntaxique. Nous proposons de la définir comme une interdépendance sémantique mutuelle entre deux unités (propositions, phrases ou termes), qui s’accompagne souvent, mais pas nécessairement, d’une interdépendance syntaxique.
Le phénomène mérite d’être décrit et commenté à notre sens sur trois plans : celui de la phrase, celui du texte et celui du discours. La phrase, entendue comme une unité prédicative résultant d’observables morphosyntaxiques, se voit d’abord structurée par le fait qu’une unité en appelle une autre. Les situations sont plurielles : présence ou absence de marquage lexical, usage ou non de signes graphiques indiquant une séparation syntaxique, force variable des liens entre les unités selon les marqueurs et la combinaison éventuelle de ceux-ci à des éléments de renfort. Le texte, considéré comme un ensemble structuré et sémiotiquement autonome, se voit ensuite constitué, entre autres, par la dépendance entre des phrases. Souvent, les outils mobilisés pour organiser la cohésion et la cohérence du propos sont des corrélatifs occasionnels (d’une part… d’autre part, l’un… l’autre) et mettent en œuvre des phénomènes de coordination plutôt que de subordination. Ils configurent des séries contenant au moins deux unités, qui présentent éventuellement une dimension prosodique et qui organisent dans certains cas une période oratoire. Le discours enfin, conçu comme une mise en situation du langage par un locuteur, instance littéraire ou non, et pratiqué régulièrement à l’époque dans une perspective rhétorique, voit sa composition et son efficacité renforcées par la présence de tours corrélatifs. La corrélation est en l’occurrence l’indice d’une programmation des mouvements d’un raisonnement ou d’une narration ; elle joue un rôle dans l’élaboration de certains types de texte ou genres littéraires. Le locuteur formule en effet des prédications en les liant au plan énonciatif. Il sélectionne et dispose ses arguments en réalisant, par exemple, une inférence. Il fait connaître un point de vue, notamment au moyen de l’évaluation et de la présupposition. Les trois niveaux en question interviennent conjointement dans toute réalisation langagière s’envisageant comme texte. D’où l’intérêt de les aborder dans la perspective d’un continuum, en considérant tant leur fonctionnement propre que leurs interactions.
Nous souhaitons explorer sur cette base les manifestations de la corrélation dans des corpus français, littéraires ou non, en diachronie longue. La tranche chronologique que nous envisageons, qui n’a pas fait l’objet d’une enquête systématique jusqu’à présent, va de la fin du moyen français au français du xviiie siècle. Cela n’exclut pas de pousser l’enquête jusqu’à la fin du français moderne, donc environ 1850, si une rupture se fait sensible au-delà de la borne ad quem proposée. Quels sont en l’occurrence les marqueurs et les valeurs du phénomène ? Y a-t-il des spécificités dans la mise en œuvre du « schème corrélatif » (Muller 1999) ? Comment les écrits produits avant la Révolution reflètent-ils et exploitent-ils les possibilités de corrélation offertes par la langue au niveau de la phrase, du texte et du discours ? Plusieurs objets d’analyse se dégagent, notamment :
– du point de vue morphosyntaxique, (i) la nature des structures corrélatives durant la période, que ce soit sous l’angle des outils (rôle de subordonnant ou de coordonnant) en prenant en compte le caractère spécialisé ou non de ceux-ci ou sous celui des indices non lexicaux (temps et modes verbaux) ; (ii) les contextes et les mécanismes de l’évolution de ces structures en langue (apparition, grammaticalisation, disparition) ;
– du point de vue sémantico-logique, (i) le ou les sens que portent les marqueurs (y compris en termes évaluatifs), voire la perte de sens d’un des marqueurs ; (ii) la relation logique induite entre les unités corrélées (conséquence, comparaison, manière, etc.) ;
– du point de vue rhétorique et pragmatique, (i) le rôle de la corrélation dans la conduite d’un raisonnement ou d’une narration (construction et agencement des arguments ou des faits par la mise en tension de deux unités, induction et déduction) ; (ii) l’articulation des mécanismes pragmatiques à l’œuvre dans un raisonnement avec la présence d’un élément initial et d’un élément final (dépendance illocutoire des énoncés, présupposition et assertion, thème, rhème et liaison prédicationnelle).
Ces différentes pistes, non exclusives l’une de l’autre, pourront être explorées dans un texte, dans une œuvre ou dans un corpus plus vaste. Nous encourageons les chercheurs qui le souhaitent à exploiter, pour les vastes corpus, y compris pour des textes authentiques peu ou pas explorés jusque-là, les possibilités offertes par le TAL (« Traitement Automatique des Langues ») en termes d’annotation et d’analyse échantillonnée. Cette démarche implique une réflexion méthodologique sur les outils et les balises (TEI-XML, etc.) pertinents pour le relevé systématique des occurrences. Elle touche aussi au champ de la phraséologie, entendu comme l’étude des associations privilégiées entre lexies, car il conditionne les repérages des formes pertinentes de marqueurs de corrélation et le balisage du corpus.
Bibliographie indicative
Adam, J.-M. (2011), « Les consécutives intensives : un schéma syntaxique commun à plusieurs genres de discours », Linx, n° 64-65, p. 115-131.
Allaire, S. (1982), Le modèle syntaxique des systèmes corrélatifs. Étude en français moderne, Thèse de doctorat, Villeneuve d’Ascq, Atelier de reproduction des thèses de l’Université Lille 3.
Corminboeuf, G. (2008), « ‘Tu m’embrasses encore, et c’est mon pied dans les pompons !’ Comment construit-on le sens ? », Discours (https://discours.revues.org/4173), n° 3.
Guiraud, A.-M. (2008), « Les emplois corrélatifs de parfois, quelques et des fois », Discours (https://journals.openedition.org/discours/3062), n° 2.
Lehmann, S. (2013), « L’expression de la conséquence en diachronie : intégration syntaxique et propriétés sémantico-pragmatiques », Langages, n° 190, p. 67-79.
Muller, C. (1999), La Subordination en français. Le schème corrélatif, Paris, Masson-Armand Colin, « U Linguistique ».
Neveu, F., Roig, A. et Raemdonck, D. van (dir.) (2017), Détachement et corrélation, Travaux de linguistique, n° 74.
Phrase et période entre les XVIe et XVIIIe siècles, dir. G. Siouffi, Verbum, t. XLI, n° 2, 2019.
Roig, A. (2015), La Corrélation en français. Étude morphosyntaxique, Paris, Classiques Garnier.
Schnedecker, C. (dir.) (1998), Les Corrélats anaphoriques. Paris, Klincksieck.
Turco, G. et Coltier, D. (1988), « Des agents doubles de l’organisation textuelle : les marqueurs d’intégration linéaire », in L’Organisation des textes, Pratiques : linguistique, littérature, didactique, n° 57, p. 57-79.
Les propositions de communication, qui prendront la forme d’un résumé de 10 à 20 lignes assorti d’un titre, sont attendues pour le 15 juillet 2021 au plus tard. Une publication est envisagée.
Comité scientifique
Claire Badiou-Monferran (université Sorbonne Nouvelle)
Bernard Combettes (université de Lorraine)
Gilles Corminboeuf (université de Fribourg)
Marcel Den Dikken (Budapest, Eötvös Loránd University)
Pierre Le Goffic (université Sorbonne Nouvelle)
Stéphane Macé (université Grenoble Alpes)
Julie Sorba (université Grenoble Alpes)
Laurent Susini (université Lumière Lyon 2)
Comité d’organisation
Mathieu Goux (université de Caen, EA 4255 CRISCO)
Pascale Mounier (université Grenoble Alpes, UMR 5316 Litt&Arts)
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