La question d’un lien entre le choix d’une forme matérielle et de possibles usages ou fonctions spécifiques de l’écrit se trouve au cœur du projet ROTULUS. D’emblée, en embrassant le corpus en cours de construction lors des opérations liées à la constitution de l’inventaire des cartulaires-rouleaux conservés en France, deux premiers constats chiffrés invite à proposer des hypothèses :
- un premier groupe de manuscrits concerne des rouleaux réalisés pour regrouper des dossiers relatifs à des conflits.
- de façon plus large, on constate un usage privilégié du cartulaire-rouleau dans le milieu monastique et, au sein de celui-ci, pour des dossiers relatifs à des dépendances monastiques.
Axe 1 : Rouleaux et conflits
Au regard de leur contenu, certains cartulaires copiés en rouleaux ont été identifiés comme des recueils destinés à soutenir une revendication, prouver son bon droit dans le cadre de la résolution d’un conflit, qu’il concerne la possession d’un bien, la jouissance d’un privilège, l’exercice d’un pouvoir… Cette session se propose d’explorer les multiples raisons pour lesquelles on a choisi la forme en rouleau pour recevoir des dossiers de documents relatifs à une affaire (voire même à une combinaison de plusieurs affaires), un conflit ou une situation nécessitant un effort de défense. Ces rouleaux-dossiers auraient pu répondre à plusieurs objectifs : soit constituer un dossier à usage interne, pratique à consulter, soit rassembler des documents dans la perspective d’une possible ostension (des documents que l’on veut montrer ou que l’on souhaite pouvoir éventuellement produire en justice). Répondant à ces motivations, le rouleau présentait-il assez d’avantages en termes de fabrication et d’ergonomie ? On prendra en compte la matérialité du document : taille de l’objet, support, soin apporté aux assemblages, coût supposé, possibilité de dérouler complètement le rouleau et de montrer le contenu (mise en page, élément favorisant le repérage des actes).
Se pose la question du temps de la compilation, du « moment-rouleau ». Copie-t-on les actes à l’approche d’un procès, en vue d’une nouvelle étape dans les processus de gestion des conflits ou, plutôt, peu après la victoire ou après la résolution (provisoire ou non) d’un conflit. Ensuite, le rouleau a-t-il servi ou resservi (traces de consultations, annotations ou même mises à jour) ?
On s’interrogera sur le rapport du contenu du rouleau avec le matériau en amont : originaux, mais aussi autres copies en cartulaire-codex, notamment. Le contenu du rouleau se retrouve-t-il en totalité dans un cartulaire antérieur (possible source) ou est-il intégré ensuite dans un cartulaire ? Mener cette réflexion sur la tradition des actes comme sur celle plus globale de l’ensemble du contenu du rouleau pourra révéler des scenarii complexe. Les prendre en compte est indispensable pour comprendre la genèse et les usages des compilations-dossiers dont le rouleau pourrait être une des déclinaisons matérielle à côté de la pancarte (au sens de « cartulaire-placard »). A-t-on cherché à composer des dossiers exhaustifs ou résultent-ils plutôt d’une sélection parmi les actes relatifs à un lieu, une affaire, limité à certains actes seulement considérés comme plus utiles ? Ces cartulaires-rouleaux relatifs à des conflits invitent à réfléchir à la notion de « dossier » et à préciser cette notion encore assez vague puis à s’interroger sur l’usage réel de ces « dossiers », comme de leurs différentes déclinaisons matérielles possibles, dans les mécanismes de gestion des conflits.
Comme pour toute copie, on peut s’interroger sur la valeur qu’ont pu avoir selon les époques et les espaces, les transcriptions d’actes sur des rouleaux. Le soin apporté dans le transfert des informations (respect du texte, signalement de la mise en page, des écritures ou des signes graphiques des documents originaux) témoigne-t-il en faveur d’une recherche de valeur probatoire de la transcription elle-même. La compilation dans son ensemble a-t-elle justement été validée pour conférer aux actes transcrits cette valeur probatoire potentiellement recherchée ?
Nous visons principalement les cartulaires-rouleaux, mais on pourra les mettre en perspective en les comparant à d’autres rouleaux d’archives relatifs à des conflits (vidimus contenant plusieurs actes relatifs à une affaire, enquêtes, dépositions de témoins, procédures…). En effet, dans les choix en termes de fabrication, de validation, de mise en page, les compilations en rouleaux auraient pu être influencées, à partir du milieu du XIIIe siècle au moins, par l’usage probablement plus massif des rouleaux de procédures. Par ailleurs, il arrive que des rouleaux de procédures intègrent des copies d’un ou plusieurs actes, soit insérés, soit plutôt rejetés à la fin comme en annexe (voire même que le verso d’un rouleau de procédure ait accueilli une petite compilation en appendice). Pour des époques ou des espaces où les cartulaires-rouleaux sont peu nombreux, on veillera à bien prendre en compte les autres usages « voisins » du rouleau dans l’écrit pragmatique et la gestion des biens.
En définitive, on s’interrogera sur les motivations qui ont poussé à constituer un dossier d’acte prenant la forme matérielle du rouleau, en lien avec son impact visuel, sa portabilité ou l’ergonomie de la lecture/ostension. D’autres attitudes auraient pu prévaloir notamment l’exhibition des originaux ou de copies simples. En essayant de comparer à d’autres conflits pour lesquels, il n’y a pas eu rédaction d’un petit cartulaire-rouleau, on s’interrogera sur les implications visuelles propres au rouleau. Ainsi, en transcrivant sur une unique feuille de parchemin un dossier de plusieurs actes (pancarte ou cartulaire-placard), on offrait une vision d’ensemble immédiate à l’assistance ; en revanche, un rouleau aurait permit selon sa longueur ou sa mise en page, un dévoilement plus progressif des actes transcrits.
Axe 2 : Abbayes et dépendances : des usages privilégiés du cartulaire-rouleau ?
Les établissements monastiques sont parmi les principaux commanditaires de cartulaires-rouleaux médiévaux (deux tiers environ des rouleaux). Il s’agit principalement d’établissements bénédictins masculins, mais aussi quelquefois de maisons féminines. Ce constat est à relier à la chronologie des premiers cartulaires en codex, parmi lesquels la plupart, au XIe et au XIIe siècle en France, sont des recueils réalisés pour les abbayes bénédictines. On prendra en compte le contexte documentaire général des institutions commanditaires de cartulaires-rouleaux : ont-elles également produit des cartulaires en codex ? Si oui, est-il possible de déterminer des vocations différentes des compilations en codex ou en rouleau ? On tentera de préciser la chronologie du recours au rouleau et de la confronter à celle de la valorisation des archives ecclésiastiques, qui émerge dans la seconde moitié du XIe siècle. Les potentiels rapports entre la genèse des cartulaires-rouleaux et la rédaction des premiers cartulaires en codex devront être interrogés (gémellité ou complémentarité ?). L’enquête ne négligera pas les contingences qui ont pu peser sur l’apparition du cartulaire-rouleau (une genèse en plusieurs lieux ? une imitation des autres usages du rouleau ? un déploiement formel nouveau pour les pancartes ?).
Ensuite, il s’agira d’interroger les facteurs ayant pu in fine favoriser le choix du rouleau pour copier un contingent de chartes : une connaissance de cette forme matérielle utilisée pour d’autres types de texte, particulièrement en milieu monastique et pour les institutions concernées (rouleaux des morts, listes diverses, inventaires ou polyptyques), une hypothétique diffusion de certaines pratiques dans un cadre local et régional. On remarque par exemple que dans la région Occitanie, où les commanderies des ordres militaires font souvent rédiger leur cartulaire sur des rouleaux au XIIe et au XIIIe siècle. On trouve un peu plus de cartulaires-rouleaux pour les Cisterciens pour la même période. Il importe d’essayer de déterminer si l’appartenance à un réseau, à un ordre a pu primer (notamment peut-être via la circulation des hommes et les carrières au sein d’un ensemble institutionnel) ou si des pratiques développées régionalement se sont ancrées durablement. Ces interrogations seront donc à lier aux possibles logiques spatiales des pratiques : il s’agira d’interroger la possibilité de transferts à différentes échelles (éventuels rapports avec l’Angleterre, l’Espagne et l’Italie où la forme apparaît également), mais aussi l’existence éventuelle de communautés d’usages plus locales, qui pourraient expliquer l’ancrage régional du rouleau dans un large Midi de la France, en Val de Loire et en Normandie.
Un second constat, esquissé dès le montage du projet et confirmé à la suite du travail d’inventaire, a permis de mettre en avant la proportion étonnamment importante de cartulaires-rouleaux rédigés pour contenir des documents relatifs à des dépendances monastiques. La moitié des rouleaux bénédictins, entre le milieu du XIe siècle et le milieu du XIIIe siècle, sont en effet relatifs à des prieurés. Est-ce que le type d’établissement ou peut-être un mode de gestion de l’écrit différent seraient décelables en fonction de l’organisation d’un réseau monastique ? On explorera l’hypothèse d’un recours au rouleau dans le cadre d’un besoin d’organisation des usages de l’écrit ou de circulations de l’écrit entre le centre et ses dépendances. On s’interrogera autant que possible sur la paternité des projets rédactionnels tout en veillant à les éclairer des éléments contextuels évoqués ci-dessus (pratiques au sein d’un réseau, dans une région…). À partir de quel chartrier ces rouleaux relatifs à des prieurés ont-ils été établis ? À partir des documents conservés à l’abbaye ou au prieuré ? On pourra par exemple explorer l’hypothèse de la constitution d’un cartulaire-rouleau pour effectuer l’envoi d’un dossier documentaire (tous les actes relatifs au prieuré ou bien une sélection ?).
En plein essor, le monachisme est alors au cœur des dynamiques sociales et les monastères bénédictins masculins répondent au défi de la gestion du temporel par la mise en place de réseaux de prieurés. Est-ce que la structuration progressive des réseaux monastiques tels que Cluny, Marmoutier ou Saint-Victor de Marseille a pu s’appuyer sur ces nouveaux outils de communication, faciles à réaliser, que sont les rouleaux? Ces remarques invitent à proposer des comparaisons des usages au sein de chaque réseau. Certains réseaux ont-ils in fine favorisé le recours à cet outil documentaire, notamment dans le cadre du processus d’intégration des dépendances?
Indications pour l’appel à communication
Plusieurs propositions seront sélectionnées pour une intervention lors du colloque en fonction de leur adéquation avec l’argumentaire scientifique. En outre, l’équipe ROTULUS se réserve la possibilité de présélectionner certaines de ces propositions pour le colloque final du projet qui aura lieu à Nancy au printemps 2022.
Les organisateurs du colloque, notamment en fonction des éventuelles contraintes liées à la crise sanitaire actuelle et à ses suites éventuelles, se réservent la possibilité de proposer aux intervenants de participer par l’intermédiaire d’une visio-conférence si leur venue à Metz était impossible pour des raisons logistiques et/ou sanitaires.
Envoyez vos propositions avant le 11 octobre 2020 à l’adresse suivante : jean-baptiste.renault@univ-lorraine.fr
Les chercheurs répondant à l’appel à communication sont invités à prendre connaissance des travaux antérieurs menés dans le cadre du projet ANR ROTULUS : https://rotulus.hypotheses.org/ Voir notamment le compte-rendu de la journée « Codices et rotuli » : https://rotulus.hypotheses.org/247
Par ailleurs, l’équipe ROTULUS se tient à leur disposition, le cas échéant, pour leur fournir certaines données nécessaires à leurs études.
Source : Rotulus